Handicap et Innovations Numériques

Restitution des échanges du webinaire SUN le 24 octobre 2023

Le handicap en France ce n’est pas moins de 8.0 millions de personnes de 5 ans et plus en situation de handicaps ou dépendantes à domicile, et 9.3 millions de proches aidants (Etudes 2023 DREES). Cela donne tout leur sens aux « technologies d’assistance » qui répondent exactement aux enjeux du numérique inclusif à travers ses innovations : pour les personnes en situation de handicaps, par les personnes en situation de handicaps, et pour gagner en autonomie.

LES INNOVATIONS NUMERIQUES, c’est aussi un marché économique en plein essor dans un monde vieillissant et dont la durée de vie s’allonge ; c’est autant de déficiences physiques, mentales et sensorielles qui appellent un développement des nouvelles technologies.

LA « HANDI-TECH » est donc plus largement un vecteur d’inclusion sociale globale via la prise en compte de la diversité de tous les usagers des services numériques, dès leur conception. On parle alors de « conception universelle » et de « design inclusif ».

Résumé des échanges animés par Thomas FAUVEL (membre fondateur de CATON, président de 100% Handinamique) avec Gaëlle VITALI-DERRIEN (doctorante de l’Université Paris-Saclay en physique expérimentale, VP de 100% Handinamique), Francesca BUGIOTTI (enseignante-chercheuse, LISN CentraleSupélec, projet VRAILEXIA Erasmus +), Robin LE GAL (co-fondateur de la start-up EZYMOB), Patrick DUVAUT (VP de l’Université Paris-Saclay, en charge de sa Fondation Paris-Saclay Université soutien de la chaire Handicap et Technologie de Polytech Paris-Saclay).

  • ALCHIMIE ENTRE INNOVATION ET HANDICAP

 « Des innovations pour nous, utiles à tous ». Les innovations sont nécessaires pour pouvoir surmonter des difficultés liées aux situations de handicaps, mais elles sont aussi directement ou indirectement utiles à tous ; inversement les innovations pour tous, doivent profiter aux personnes en situations de handicaps.

« Des innovations pour nous, avec nous ». En situations de handicaps, nous commençons à être impliquées dans les processus d’innovation témoigne Gaëlle VITALI-DERRIEN doctorante à CentraleSupélec ; mais cela est encore très insuffisant estime-t-elle. Nous pouvons être les porteurs et moteurs d’innovations pour faciliter l’inclusion au sens large.

« Des cases à cocher ? » Innovations et handicaps sont trop souvent considérés comme des cases à cocher pour satisfaire des obligations légales, règlementaires ou autres9, déplore Robin LE GAL ; il faut changer de mentalité pour le bilan RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) par exemple.

Pourtant, le marché des technologies d’assistance est en plein essor, avec un réel impact social, qui se mesure et qui peut être évalué. Il faut alors développer « l’éducation de marché », le secteur du handicap et de l’inclusion est un marché comme les autres. Il y a aussi l’idée reçue restrictive qu’il revient aux pouvoirs publics de financer l’aide aux personnes en situation de handicaps.

Note 0bligation d’accessibilité des services numériques publics aux personnes en situation de handicap (loi sur l’accessibilité numérique 2005), W3C Recommandation « for making Web content more accessible » 2023.

« Derrière l’innovation, il y a l‘usager de l’innovation », la personne et en particulier la personne en situation de handicap. Les crises polymorphes que nous vivons font naitre de nouveaux besoins sources d’un foisonnement d’innovations ; mais attention, souligne Patrick DUVAUT « ne soyons pas « techno driven », de nouvelles approches telles que le design social impliquant le end user s’imposent ». Il est donc indispensable que les personnes en situation de handicap aient accès et trouvent leur place dans le cercle design / innovation ; cela implique un changement de posture ; les maux de notre société ne se résoudront pas par la technologie.

Il existe bien des nouvelles technologies qui permettent d’aider concrètement les personnes en situation de handicaps dans leur quotidien en visant l’autonomie, et elles se multiplient. Mais le monde du handicap n’est pas un microcosme nécessitant des besoins spécifiques, c’est aussi la source d’innovations utiles à tous. L’implication de personnes, en situation de handicaps dans les innovations, contribue à réduire la vision ancestrale assez négative de ce monde, et à une approche moins paternaliste.

  • DES PROJETS NOVATEURS PORTES PAR LES INTERVENANTS
  • La recherche pour, et la recherche par, les personnes en situation de handicaps. Que la recherche soit accessible aux plus jeunes en situation de handicaps tel est l’objectif que s’efforce de promouvoir le groupe d’entraide internationale de 100% Handinamique « Research Disability » auquel participe Gaëlle VITALI-DERRIEN, doctorante à CentraleSupélec, qui y est totalement engagée ; il fonctionne comme une sorte d’académie mais avec une approche pluridisciplinaire ni sectorielle ni thématique.
  • Le projet « VRAILEXIA[1]» d’ERSAMUS+, pour les dyslexiques. Francesca BUGIOTTI enseignante chercheur au LISN de CentraleSupélec, qui travaille sur les données (intégration, analyse …) s’est aperçue lors du COVID 19 de la faible proportion de personnes en situation de handicaps, dans l’enseignement supérieur, et de l’inexistence d’outils d’accompagnements spécifiques contrairement à ce qui existe dans les lycées et collèges. Elle s’est donc notamment engagée dans ce projet international à destination des étudiants dyslexiques, des universités et des grandes écoles. Il s’agit de développer des outils d’apprentissage et des services propres aux étudiants dyslexiques pour les aider à surmonter leurs difficultés, et assurer un accès égal et des opportunités égales de succès dans leurs études. VRAILEXIA s’appuie alors sur l’IA et la Réalité Virtuelle pour créer des modules d’apprentissage en « e-learning » qui s’adaptent aux spécificités DYS.
  • Les solutions d’accessibilité EZYMOB. Rendre le voyageur en situation de handicaps ; autonome, grâce à un système accessible à tous, gratuit. Robin LE GAL cofondateur de cette start-up développe un système comportant des briques logicielles intégrables à un smart phone, visant à faciliter les déplacements et à rendre la ville accessible à tous : guider les personnes en situation de handicaps pour leur permettre d’aller d’un point à un autre en surmontant les obstacles, pour utiliser par exemple des Transports en Commun (TC), pour se déplacer dans un Espace Recevant du Public (ERP), sur des évènements par exemple locaux du festival de Cannes, sur des pôles d’échanges et des zones de correspondance des TC. [1]
  • Extrait du site VRAILEXIA : il vise la réalisation de:
    • Plateforme numérique de soutien aux étudiants dyslexiques basée sur l’IA – –
    • Tests de réalité virtuelle pour l’évaluation du profil de la dyslexie et des effets de l’utilisation de la plateforme sur les aspects physiologiques
    • Référentiel d’outils en ligne pour l’enseignement et l’apprentissage

L’accessibilité est souvent la source de l’emploi, de la vie sociale. Ce système repose largement sur les usagers impliqués dans la conception et les tests. Le prochain challenge, ce sont les JO et les jeux paralympiques ; depuis septembre EZYMOB déploie ses starters10, et les teste avec des usagers.

Réduire la « fracture éducative », le projet MACK. Patrick DUVAUT évoque le programme «World Education Heritage» cofondé par « the Netlearning UNESCO[2] Network » et l’Université Paris-Saclay, dans le cadre duquel est développé depuis 2022, le projet MACK[3]. Un outil éducatif digital permettant de sensibiliser et de mobiliser les jeunes en fracture éducative. Il vise à associer pour la création de vidéos de 3 minutes[4], jeunes, enseignants, spécialistes du patrimoine et autres dans une situation où ils peuvent apprendre ensemble et les uns des autres en s’appuyant sur le patrimoine local (musical comme le slam par exemple). La création de modules auto-certifiant et auto-certifiés par des pairs, contenant un message éducatif, est actuellement en test en Afrique du Sud auprès de populations en situation de handicap. Ø

  • EVOLUTIONS FUTURES

De nombreuses innovations dans de multiples domaines au croisement du numérique. Les nouvelles technologies de l’assistance sont un marché économique en plein essor, qui « foisonne », stimulé notamment par les crises actuelles, mais aussi par le vieillissement de la population mondiale due à l’allongement du durée de la vie et à la baisse de la natalité, s’accompagnant d’une augmentation des déficiences en terme de santé (Etude OMS 2022). Ce sont autant de technologies qui émergent dans le domaine de la santé, du handicap et de la vieillesse : e-santé ou e-health, med-tech, handi-tech, senior-tech …

Le foisonnement, stimulé par les crises actuelles, devrait être la source de solutions technologiques et méthodologiques au service de tous, particulièrement pertinentes pour les personnes en situation de handicap, telles que les jumeaux numériques (miroir), les métavers, les avatars, la réalité augmentée, la réalité immersive.

L’adaptation de l’outil à l’usager, et non l’adaptation des usagers aux outils. Cela implique des technologies personnalisées qui s’adaptent aux usages spécifiques pour répondre aux besoins de chacun, à condition qu’ils soient accompagnés et restent des projets humains dans leurs usages.

Terrain et Collaboration, ces deux mots clés résument les principes qui devraient guider la recherche d’innovations pour les situations de handicaps : –

  • « terrain » c’est à dire que les innovations doivent venir du terrain et des usagers,
  • – « collaboration» pour des améliorations partagées, utiles à tous.

La « pairémulation » ou l’accompagnement par les pairs est au cœur de cette approche de l’alchimie entre innovation et handicap: l’entraide entre personnes en situation de handicaps et des proches aidants ; un partage mutuel des connaissances pour renouveler le regard porté sur le handicap – et par les personnes en situation, de handicaps elles-mêmes – et pour faciliter l’accès à plus d’autonomie en s’appuyant sur les expériences vécues par ses pairs.

Note  1 Les starters EZYMOB sont des briques logicielles apportant différentes fonctionnalités (Cartbrique, itinéraires etc.) avec un guide pour leur déploiement dans un ERP, au profit de personnes en situation de handicaps qui y circulent.

Note [2] Il concerne 1,5 milliard de personnes en situation de handicap, 500 militons d’enfants en situation économique très précaires et 3,5 milliards de personnes de moins de 25 ans en fracture culturelle.

Note  [3] Source site UNESCO : «Le kit est disponible en 37 langues nationales et peut être téléchargé gratuitement. Il se concentre sur des méthodes d’enseignement créatives et participatives, impliquant les étudiants dans la recherche, la collecte et l’analyse de données, les exercices de simulation et de jeu de rôle, les technologies de l’information et de la communication, et la participation à des sorties sur le terrain bien planifiées »

Note [4] Le concept de co-création de vidéos de 3 minutes fait suite à l’échec de la politique des MOOC dont le taux de réussite à la sortie (1,5% des entrants) est bien trop faible pour un cout élevé.